Les changements alimentaires dans une approche prospective - François Mariotti
27 février 2022La nutrition est aujourd’hui un enjeu social majeur, aussi bien sur le plan sanitaire que sur le plan environnemental. Régulièrement évoqués dans les rapports du GIEC, nos modes alimentaires questionnent les experts du monde entier qui mettent en garde sur les dangers environnementaux causés par ce système encore trop riche en protéines animales, tout en soulignant les bénéfices d’un régime plus équilibré et moins riche en viande.
Afin d’en savoir plus sur les régimes alimentaires et sur leur impact environnemental, nous avons posé cinq questions à François Mariotti, Professeur à AgroParisTech qui, dans le cadre de ses recherches, s’est intéressé avec son équipe à l’évolution des régimes alimentaires, notamment par l’augmentation des protéines végétales et leur impact environnemental.
Bonjour François Mariotti. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots vos domaines d’expertises ? Et ce qui vous a amené à vous intéresser au sujet de cette publication ?
F.M : Je suis Professeur de Nutrition à AgroParisTech, expert en nutrition de santé publique, et je m’intéresse principalement aux relations entre la végétalisation de l’alimentation et la qualité nutritionnelle des régimes. Dans mon équipe, nous nous intéressons surtout à la composante protéique, c’est-à-dire à la consommation de protéines végétales et animales. La nutrition est un des éléments de la durabilité des systèmes alimentaires, c’est-à-dire de la capacité à produire une alimentation selon des conditions qui puissent être maintenues à long terme.
Pourriez-vous nous contextualiser l’objet de cette étude ? Quels en ont été les objectifs ?
F.M : En nutrition publique, il apparait de plus en plus important de comprendre quels sont les premiers changements à opérer pour améliorer les régimes alimentaires des individus et des populations. « Premiers » en termes d’ordre dans une dynamique de changement mais aussi, souvent, en termes d’importance comme effet de levier. Dans un travail précédent, nous avions étudié les modifications de la consommation d’aliments protéiques qui permettait d’améliorer au mieux, pas -à -pas, la qualité nutritionnelle des régimes. Dans cette étude en particulier nous avons voulu caractériser la nature des changements ainsi que leurs effets dans le cas où on ajoute un objectif de végétalisation à l’objectif d’améliorer la qualité nutritionnelle. La végétalisation consistait ici à ce que chaque changement effectué conduise à augmenter la proportion de protéines végétales par rapport à celle des protéines animales. Dans ce travail, nous voulions en particulier évaluer les effets de santé à long terme, et les répercussions sur d’autres critères de la durabilité, comme les émissions de gaz à effet de serre.
Quelles répercussions sur la santé et sur l’environnement quand on végétalise davantage nos assiettes ?
Dans votre étude, vous avez simulé plusieurs régimes alimentaires en analysant leurs possibles effets sur la santé humaine mais aussi sur le coût de l’alimentation, ou encore sur l’environnement en observant les émissions de gaz à effet de serre. Quelle a été la méthodologie employée ici ?
F.M : Nous utilisons des modèles de changements de type algorithmique : à partir du régime déclaré par un individu, nous étudions tous les petits changements simples (unitaires) qui sont possibles (par exemple baisser de 20g la quantité de travers de porc consommée et augmenter en même temps de 60g la quantité de lentilles cuisinées), évaluons l’effet de ce changement sur la qualité nutritionnelle du régime, puis nous sélectionnons le meilleur changement. Le régime est ainsi modifié ponctuellement, et nous procédons itérativement (20 fois à la suite). On simule ainsi une succession de changements unitaires qui sont les meilleurs à chaque étape. Nous avons procédé ainsi pour les 1700 individus de l’étude. Nous disposons alors de séries simulées de régimes dont nous évaluons les impacts. Ainsi, nous avons évalué les effets prédits sur la mortalité par des maladies sous influence nutritionnelle (essentiellement les maladies cardiovasculaires, le diabète et les cancers), à l’aide d’un modèle populationnel d’évaluation comparative du risque reposant sur des données de risque épidémiologique. Grâce à une base de données des aliments issue d’analyse de cycle de vie, nous avons pu estimer les émissions de gaz à effets de serre associées à ces différents régimes individuels. Avec des données de prix des aliments, nous avons également estimé les coûts des régimes.
Quels sont les observations que vous avez pu établir et par conséquent, les premiers éléments de conclusion ?
F.M : Ajouter un objectif de végétalisation à l’objectif d’amélioration de la qualité nutritionnelle des régimes a naturellement contraint les gains nutritionnels. En effet, certains changements très bénéfiques relevaient de modification au sein des produits animaux qui ne diminuait pas les quantités de protéines végétales (comme substituer une portion de viande grasse par une portion de viande maigre, ou une portion de poisson gras). Néanmoins, cette contrainte supplémentaire de végétalisation s’est avérée faible : les changements qui devaient augmenter à chaque étape la proportion de protéines végétales ont conduit à de fortes améliorations de la qualité nutritionnelle, à peine inférieures au scenario standard. La végétalisation entraine des modifications différentes des régimes et il s’est avéré que ces modifications sont associées à de plus fortes augmentations du bénéfice santé à long terme (en termes de nombre de morts évités, +30%). Au bilan, les effets santé sont donc meilleurs quand on poursuit aussi l’objectif de végétalisation. Comme on pouvait s’y attendre, l’option végétalisée permet une réduction (de 6%) des émissions de gaz à effet de serre (tandis que l’option nutritionnelle standard les augmente d’autant). Le coût des régimes n’augmente que de 3% tandis qu’il augmente de 11% quand on ne tend pas à augmenter la part végétale des protéines alimentaire (les substitutions peuvent être protéines animales par protéines animales ou protéines animales par protéines végétales). La végétalisation permet donc de réunir plusieurs critères de la durabilité. Les effets peuvent paraître modestes, mais comme les changements des régimes restent modérés, ils sont plutôt considérables.
Quelles sont les perspectives que cette publication ouvre pour la recherche sur l’évolution des pratiques alimentaires et leur impact sur l’environnement ?
F.M : Je pense qu’on a besoin de bien caractériser nutritionnellement les changements alimentaires dans une approche prospective : bien comprendre les répercussions du point de vue de l’adéquation nutritionnelle, de la sécurité nutritionnelle, et de la santé à long-terme, et c’est ce que ces travaux cherchent à faire de la façon la plus fine possible. Il y a besoin pour cela de travaux menés par des experts en nutrition publique. Nous avons comme perspective de raffiner les modèles de changement pour mieux décrire les dynamiques tout au long des trajectoires qui font transiter des régimes observés à des régimes optimaux très distants. C’est un travail méthodologique qui reste embryonnaire, y compris à l’échelle internationale. Enfin, il est important de pouvoir explorer différents critères pour pouvoir comparer les répercussions nutritionnelles et de santé aux répercussions sur d’autres critères de la durabilité, et notamment les émissions de gaz à effet de serre. Ces approches complètes nous renseignent sur les chemins vertueux des transitions alimentaires.